RAPHAËL MONTICELLI
Le public est attendu sur le chantier
Ce texte a été publié dans le Patriote en 1991. Il y avait alors de fortes réactions dans la ville de Nice en raison des sculptures monumentales que l’artiste exposait en ville à l’occasion de sa rétrospective au Musée d’art moderne et contemporain.
Ce mot comme à la hâte avant l’inauguration, le 14 juin, de l’exposition Di Suvero. Ce mot pour ne pas rester sans réaction dans la rumeur des réactions, pour dire combien je suis sensible à ce travail, heureux que notre région accueille sa rétrospective. J’en suis heureux comme d’une chance inespérée tant l’ensemble est monumental, heureux aussi que le Musée d’art contemporain de Nice nous permette un si rare contact avec une telle oeuvre en pleine période de pourrissement politique pour notre ville, d’incertitude et de restrictions pour son action culturelle.
Cela seul, mieux connaître cette oeuvre en ce moment, me suffirait.
Mais en plus le travail de Di Suvero m’apparaît comme une interrogation majeure sur quelques uns des grands thèmes de l’art contemporain c’est-à-dire de l’art tout court.
Di Suvero, c’est donc d’abord tout le questionnement sur les lieux de l’art et sur la nécessité pour l’art d’investir la cité ; et ce questionnement s’effectue aussi bien par la présence des oeuvres sur les sites urbains, que par les matériaux, les thèmes, les images traités.
Car, présent dans la ville, ce travail est plein de la présence des villes, plein du travail de bâti qu’elles supposent, images de chantier, construction de l’urbanisme ou de l’urbanité : ses assemblages métalliques l’affirment jusque dans la violence de leurs couleurs, et dans leurs agencements, toujours en déséquilibre, suspension momentanée d’un travail en cours. En même temps ces images du travail deviennent matière à pur traitement de tension, et en cela appels de regard. Je dis tension, et c’est de nous qu’il s’agit, coeur, corps, sexe et esprit ; je dis appels de regard comme on dit appels d’air.
Il m’est revenu que je ne sais trop quel membre du conseil municipal de Nice avait, par dérision paraît-il, demandé que l’on ôte de la ville ces échaffaudages qui la défigurent. Dans un sens, c’est bien ce qui le gêne qui touche ma sensibilité : Di Suvero présente (rend présent) et poétise (oeuvre) le travail que, trop souvent, on veut masquer.
Dernier mot de cette urgence : Di Suvero, c’est un peu, dans la ville, l’image du dernier Léger, celui des constructeurs : la structure métallique en cours de montage s’est faite sculpture, le ciel, aussi vrai, est bien du même bleu, les constructeurs se sont faits sculpteur qui propose et public qui, sollicité par ce double chantier du travail et de l’art, réagit.
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