RAPHAËL MONTICELLI
{Fictions}
Hélène Jourdan-Gassin est, à Nice, l’une des figures marquantes de l’art contemporain. Elle a pris le nom de sa grand-mère, Lola Gassin, pour la galerie qu’elle ouvrait en 1984. On lui doit aussi Art-Jonction International, foire de l’art contemporain qu’elle fondait en 1986... Je n’en dirai pas plus sur ses nombreuses activités que vous pourrez découvrir sur son site et son blog,
En 2008, elle présentait une partie de sa collection dans les galeries municipales de Nice. C’est à cette occasion qu’elle m’a demandé l’un des textes du catalogue. J’aurais pu l’intituler "Rencontres à la galerie Lola Gassin". Le voici.
À Hélène Jourdan-Gassin
Lola passe glisse
foule
La ville fuit,
rouge pluie
rare
rayonnement clarté
nuit ville avaleuse d’ombre
Elle est
fille de ville
promeneuse d’avenues
femme aux ordres de mer
lumière vacille aux galets humides et salés
Rez-de-chaussée. Une pièce s’ouvre de grandes baies se faufiler parmi les peuples aux noms brûlants espaces, exhorter parmi les fragments criards d’une carte au trésor bariolée, « Madame Delaunay rendez à l’Afrique ! » Quelqu’un susurre « toi et moi rien que toi et moi » « Mon chou, tu me racontes des salades » répond une autre voix
lumière vacille
elle
avaleuse d’écume
loge aux abords de la mer
aime les plains-pieds les sous-sols les cours inattendues les jardins intérieurs
il y a un rêve de cloître dans les regards de Lola
Elle approche ce masque tranchant, face d’ombre, énigme, Cape, aux regards obliques, cris assourdis fusant, volti, visi, visages de gisants, souillés, aveuglés de signes, pauvre cœur livide murmurant ses doutes, lent pétales de lèvres, est-il (sera-t-il) encore temps de rédiger cette lettre à l’artiste ?
Petite voix répète en sourdine « Lola de quoi t’effraies-tu ? »
Elle apparaît
fait vibrer l’air
éclaire les objets
pèse sur eux
effleurements, hésitations, retenues, caresses, butinement
l’air divague
remue un goût de sel
A l’étage, s’agite la féerie des primesautiers sabre, hors du fourreau, on s’exalte bleu blanc rouge, rires qui rusent, ça bouge, ça balance, en nuées d’étourneaux, ça s’esclaffe (telles vaches qui rient) un musicien se précipite, assaut des peintres farceurs, tremble de tous ses archets, ça danse, ça crie, du jaune au vert, le bleu s’enrouge, c’est la beauté des fous, le soleil toute l’année, à la lueur d’un seul briquet, dans un bourgeonnement d’amours fades (« uniquement toi et moi... seuls ») et la fraîcheur verte d’un berlingot gros comme un coussin quelqu’un ose « alias. pillow.. »
Lola s’en amuse
l’air remue
un goût de sel y vibre et tremble
jardin goutte d’eau
écume à peine
masse élancée du palmier silencieux parmi les souvenirs bavards
Elle regarde
c’est passion compassion sympathie
c’est sympathie
On redescend, coussins de moine abandonnés sur leurs boîtes encombrent le bas des marches, béton à nue luit d’une échancrure de suie.
Descendre encore. Ici, mettre à profit la lumière timide des sous-sols, oser des intrusions dans des intimités pâlies, régler les pénibles dispositifs de la conservation des corps et de leur réanimation, s’époumoner, baudruche entravée, chambre à air Risquer l’étal, à nuque brisée. Lente, une horloge indécise ne marque plus que le rythme alterné des douleurs et des voix, une pomme en pierre de lune piquée d’étoiles avale la maigre lumière qui sourd
Lola s’en inquiète
Elle se dresse
les ombres passent
elles murmurent
s’élèvent de chaque toile de chaque dessin des tiroirs des étagères de chaque ouvrage de chaque feuille
elles disent les voix les vies les souffrances les joies les disparitions les permanences la banalité
la mystérieuse et éblouissante banalité du vivant.
Trônant sur la rue, en prince d’équinoxe, Auguste immobile s’est plâtré un sourire sans faille, la femme géométrique, torse campé sur le socle des hanches, poitrine pointée, lèvres attentives, ferme les yeux dans l’extase Bécassine, perplexe, les contemple, fibrillonnante, un peu si elle osait ! On a tenté une signalétique, une minéralogie, incertaine encore, ébauchée à peine, attention, hommes au travail, pourrait-on dire.
Lola s’en doute
une voix s’élève
traverse les pièces
n’envahit ni ne s’impose
s’insinue vibre doucement le long des murs
pénètre les herbes du jardin
les fibres des tissus
les couleurs et les traits
l’art ment-il dit-il la vérité
face au front de mer, le désert des Agriates musique ses rouilles de sable et ses reliefs ordonnés de cendre et de fer, l’humidité festonnée de plomb cache à peine des douleurs anciennes et discrètes des falaises s’écoule lentement, et en ordre, un peuple d’ovins entre ciel et eau le soleil couchant installe des créneaux de mer parmi les tours contre un ciel délavé.
L’art ne ment ni ne dit vrai
il se pose et se noue
Rejoindre la cour sur la terrasse, on entend patiemment l’aurore la mémoire poursuit « aux doigts de rose ») Tandis qu’un volcan très sage éructe savamment des arcs-en-ciel en poussant droit ses fumerolles, et qu’un portique tourbillonne, dans les palmiers du matin poussent des envies de musiques, des nostalgies de vieilles boîtes à rythme sur la planche à laver des arts.
Lola poursuit en souriant un parfum d’ombre vert acidulé crayé de mémoire « Just the two of us. Just the two of us. »
Lola s’en émeut.
se pose
se noue
s’efface
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