FLORENCE SAINT-ROCH
Les Cartographies sont nées d’une rencontre comme il s’en produit au Marché de la poésie. Hasard heureux : quand je suis arrivée sur le stand des éditions Les Lieux-dits, Nicolas Blondel était en train de montrer des échantillons de ses œuvres à Germain Roesz. Œil immédiatement happé, levée des questions. L’artiste livre des ouvrages imprimés aux éléments - et aux petits animaux qui peuplent son jardin. Le temps (celui qu’il fait et celui qui passe) agit, et l’artiste, ensuite, dessine sur les pages qu’il a récupérées. L’encre s’active et vibre. Je regarde, et j’entends ; je pense d’abord : c’est le chant de la Terre. Devant son urgence, je me reprends : c’est un cri.
Deux de ces poèmes de colère ont été publiés sur Terre à ciel en octobre dernier. Voici, pour Bribes en ligne, le quatrième de la série.
1.
Passera-t-on par l’eau ou par le feu
Si ténu parfois le départ
Entre ce qui résiste
Et ce qui va disparaître pour de bon
On continue à prendre
La nuit pour le jour
Les prédictions infatigablement répètent
Les mêmes scénarios
++++
2.
Tours et détours
Ont dévié notre course
Naïfs on persiste à croire
Qu’on trouvera un chemin
Longuement on parlemente
En pays de mainmises et de fiefs
Les voix se corrodent
La pourpre s’affadit
++++
3.
La rivière prend feu
Serpente zigzagant
Montant de l’eau elle-même
Des parfums sauvages et violents
Les muscles rouges de la Terre
Sont un instant mis à nu
Colonnes rouges scintillantes
Bouquets d’étincelles
Étranges chuchotements
++++
4.
Le fleuve bouge ses lignes
Le sépia creuse des sillons
Déambulations rouille jusqu’au delta
Dans le bassin versant
Une multitude de bras
Affluents et défluents se rejoignent
Vapeurs brunes caprices arborescents
En contrebas les remblais d’alluvions
Leurs réserves de légendes
Leur puissance d’invention
++++
5.
L’onde vibre tournoie
Sa couleur de mercure
S’enfle et bondit
Ses mouvements fantasques
Récusent la tiédeur des mots
Rhizomes flamboyants
Lignes brisées et discordantes
Le vertige nous prend
Où donc les contours précis
Le sens la direction
++++
6.
Allègre déplacement des formes
Ça danse dans nos yeux
Le foyer cherche la suite
Atteint la crête
Embrase la cime
Poussières d’incendie
Avant la cendre
Hors de toutes limites
Le brasier enjambe
Le feu parfois
Signe notre nom
++++
7.
On peut s’enchanter des mots
Enroulements spiralés
Volutes orange
Rien n’est là pour faire beau
Comme le sujet est brûlant
On s’échauffe on s’emporte
On entre en combustion
Mais après le grand feu
Vient l’heure du clairon
Retraite et demi-tour
Comme après de belles promesses
Le temps des déceptions
++++
8.
Desseins préétablis
Ou occurrences aléatoires
On admire au passage
La coloration des flammes
Plomb rouge brome ou lithium
En phase d’oxydation
Attentifs on étudie
Leurs lueurs incertaines
Mais c’est loin d’être suffisant
Confus on s’essaye
Nous aussi
Aux projections
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