Imagine que, dans la Palestine du 1er siècle, vivait un peuple dans une précarité bien proche de celle que connaît la Palestine d’aujourd’hui ; il vivait sous le même soleil, dans la même poussière, avec le même goût de sel persistant au fond de la gorge, cerné par le même sable, avec la même ferveur pour l’eau douce et pour l’ombre, cherchant, comme tous les peuples, de quoi s’abriter, subsister et se perpétuer et, comme tous les peuples, y parvenant non dans la tranquillité, le calme et la joie, comme il conviendrait, mais dans la souffrance, la douleur, l’incertitude, comme nous le savons, déterminés par des puissances lointaines, aveugles et comme inattaquables. Comme tous les peuples, celui-là puisait dans la longue histoire de ses peines la cause de ses plaintes et de ses rêves, la force de son espérance.
Nous savons que c’est dans ce peuple juif du 1er siècle que J.-C. est venu au monde ; on dit que c’est à Bethléem. Tu sais que J.-C. naquit alors que Rome avait décidé de dénombrer les habitants de ses territoires et, dans cette intention, elle avait ordonné que tous les hommes devraient aller se présenter au lieu de leur origine. Joseph, le père putatif de J.-C., vivait, avec Marie, à Nazareth ; mais il était originaire de Bethléem, car il était de la descendance de David et des anciens rois d’Israël.
C’est en arrivant à Bethléem que la B.V.M. sentit les premiers signes de la naissance imminente de son enfant. La journée finissait, le temps fraîchissait et toutes les hôtelleries étaient bondées de sorte que Joseph ne put trouver aucun endroit protégé pour y loger. Ayant frappé à toutes les portes et, malgré l’état de Marie, n’ayant rencontré que des refus, Joseph se résolut, dans la hâte où le mettait l’imminence de l’accouchement, à aménager tant bien que mal un lieu ouvert et passant. Les traditions divergent quant au lieu : on parle de grotte ou d’étable, on dit aussi qu’il s’agissait d’un espace couvert entre deux maisons.
Il y avait là un petit endroit aménagé en mangeoire devant lequel était attaché un taureau ; Joseph y lia l’âne sur lequel Marie avait voyagé, alluma une petite lampe à huile qu’il fixa, à hauteur de regards, à une pierre qui faisait relief, nettoya rapidement le sol de ses impuretés et de ses cailloux, y étala son manteau de voyage et y installa Marie ; Après quoi, il rapproprit le foin dans l’espace qui séparait l’âne du taureau et y posa une sorte de vareuse qu’il avait. Quand il eut terminé ses préparatifs, il s’approcha de Marie et lui prit la main en souriant.
Le taureau avait considéré ces intrus avec placidité et une curiosité attentive que l’on ne lui soupçonne habituellement pas ; il avait tendu son museau vers l’âne, reconnaissant, dans les odeurs du voyage, des nuances d’herbes et de terres ; il avait secoué la tête, poussé le front contre l’épaule de Joseph, effleuré sa main de sa grosse langue râpeuse, puis s’était immobilisé, tournant vers Marie ses yeux pleins de douceur. De son côté, l’âne, d’abord indifférent à tout, avait commencé par se rassasier ; après quoi, lui aussi, avait tourné la tête vers le couple, tandis que le silence de la nuit enveloppait Bethléem.
Quand l’heure du travail arriva, Joseph aida Marie à se placer ; il s’efforça de la soulager en facilitant le passage de l’enfant, coupa le cordon, essuya le nouveau-né et le donna à Marie. Au premier vagissement, celui qui déploie en bouquets bourgeonnants les délicates circonvolutions de nos bronches et les remplit pour la première fois d’un air ardent qui les stimule, le souvenir des cris d’origine remplit non seulement Marie et Joseph, mais aussi l’âne et le taureau qui reconnaissaient là comme un cri de détresse, un appel à protection. Lorsque Joseph posa l’enfant sur la vareuse entre les bêtes, celles-ci reniflèrent la petite vie nouvelle, y sentirent des odeurs de sexe et de sang, et cette évanescente fraîcheur que l’on voudrait toujours conserver entre narines et lèvre ; et ils tendaient doucement la tête en considérant le petit corps palpitant, et lançaient vers lui de délicats coups de langue.
Si le terme de naissance désigne la venue au monde du point de vue de l’action et du résultat de la parturition, le terme de nativité oublie l’acte au profit du fait et de la date, le travail au profit de la qualité et l’action au profit de l’état. Tu sauras donc que célébrant la naissance de N.S., on ne saurait mieux faire que de la nommer de sorte qu’on entende la date, la qualité et l’état. La date parce qu’elle inaugure une ère nouvelle et que notre humanité se détermine en avant et après cette date ; la qualité parce que cet événement met en lumière la sainteté de toute venue au monde ; l’état parce que désormais on ne considérera plus notre existence que comme une éternelle naissance.
Il existe trois nativités : celle de la B.V.M.., celle de Jean-Baptiste, celle de N.S.J.-C. La première est la plus merveilleuse car elle a donné au monde, par les oeuvres de la chair, un être pur et sans taches ; la deuxième est la plus émouvante, car elle est celle de celui qui vient au nom de celui qui doit venir ; la troisième est celle de J.-C. par laquelle se réalise la sainteté des deux premières et, par elles, notre sanctification.
La nativité de J.-C. proclame que notre sainteté réside toute dans la parole : conçu selon l’Esprit seul, J.-C. accomplit le miracle de l’incarnation du Verbe, signifiant ainsi que nous ne devons nos plus hautes qualités d’Homme qu’au fait d’être nés des mots, et que les mots tirent leur valeur du fait qu’ils s’inscrivent dans des êtres de chair.
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